ton sol récolte nos intempéries - les affaires de l'agriculture - 18 août 2025
- pmissap
- 18 août
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les affaires de l’agriculture
les investissements en semences et en engrais
en machinerie, en énergie mentale, en carburant,
en jambes lourdes, au cou tendu à force d'être tourné vers la machinerie traînée derrière le tracteur, au dos en torsion à tout bout de champ
la lourdeur des machines, des bâtiments, des animaux malades, de la famille
à faire vivre
le productivisme
use les corps, les sols
et il y a
pas si loin en nous
la lenteur, le rite, le cycle saisonnier en joie
on souligne, on s'habille propre pour la messe des semences, des récoltes
des croyances pleines l'esprit
ça allège
je m'imagine que ça allège
la santé de celles et ceux qui cultivent
nourrir de la tête aux pieds les corps fatigués
il y a des terres qui se noient,
des sols qui se fendent sillons par sillons,
les feuilles qui apprennent à brûler par la canicule
les affaires de l’agriculture sont vivantes
elles ne promettent rien
rien de plus que le seuil des saisons
qui, tour à tour,
feront tout recommencer
Après plus d'un mois sans écriture ici, j'ai eu envie d'un poème, j'ai eu envie d'un poème parce que je crois que la poésie est à l'agriculture ce que le fleuve est au Québec – centrale, faite d'imaginaire et de vérité, d'utilitaire et de risques, d'inspiration et d'oublis. la poésie en agriculture, elle manque de temps. elle est un peu partout, je la vois dans les champs, côte à côte, un paysage chromatique. je la vois dans les gestes qui sont faits, des chorégraphies de manipulations : brancher le pto, ajouter la pine, la goupille, la chaîne, calibrer le semoir, synchroniser la presse à balles comme l’horloger synchroniserait un cadran. les mains partout, blessées, les mains sales.
il y a tout à savoir, tellement à savoir que le temps manque pour l'observation des poésies fines qui s'immiscent dans le quotidien de ces personnes vaillantes, dévouées, patientes.
enfant, je fuyais le travail, je m'éloignais, je m'imaginais, j'observais, je n'avais pas la vaillance parasite qui m'empêche de prendre le temps. la vaillance est un parasite qui nous éloigne parfois de la vraie affaire. l'affaire d'être. l'affaire d'exister. l'affaire de vivre. elle s'obstine à l'intérieur de moi, sans arrêt, la vaillance me dit que mes mains doivent faire, se graisser et ma tête doit attendre son tour. si cette idée est « prise » là, en dedans de moi, si cette idée est aussi grande que forte, qu'enracinée, c'est parce qu'elle m'a été répétée maintes fois, que les vacances en famille s'écourtaient pour le travail au champ, pour la vache malade, pour le soleil qui revient et qui prépare le foin à une troisième coupe. cinq nuits en Gaspésie ou sur la Côte-Nord devenaient rapidement deux ou trois nuits : c'était l'agriculture, la priorité. parce que mes parents, leurs parents, leurs grands-parents et leurs arrière-grands-parents, ont fait des sacrifices répétés pour que, rendu à moi, ce soit plus aisé. mais, même si j'ai la version « aisée », c'est inscrit là, en moi, bien imprégné, les affaires de l’agriculture m'habitent.
j'en suis imprégnée au point d'en faire une démarche artistique, j'en suis imprégnée au point de faire un dessin végétal sur un champ de 1,3 hectares. j'ai trouvé cette démarche envahissante, intrusive : elle m'a pris mon courage, ma vaillance et mon été. je l'ai fait, ce projet, je l'ai vécu, la culture du sol dans le cadre du projet ton sol récolte nos intempéries. j'ai récolté des gestes, des lumières, des bons mots, des courbatures, des douleurs aux mains que je pensais impossibles, des ravissements. et là, ça fleurit. on y est : ça fleurit. j'ai tout vécu pour cette floraison qui, tranquillement, se produit pour quelques jours en simultané.
Les affaires de l'agriculture sont le cœur de ton sol récolte nos intempéries.










Ce texte est une merveille. La poésie de la Vie , celle de l’essence de l’agriculture, sa rigueur, sa dureté, sa beauté.