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ton sol récolte nos intempéries - le corps en chantier - 1er juillet 2025

  • pmissap
  • 1 juil.
  • 3 min de lecture
crédits photographies : Guillaume Gagnon
crédits photographies : Guillaume Gagnon

Je me demande si les personnes issues de générations agricoles ont en commun la tendance à repousser les limites de leur corps. Si, à force d’avoir vu leurs aînés travailler malgré la fatigue, malgré la douleur, ils apprennent à vivre avec une tension sourde, profonde, ancrée. La douleur devient discrète, normalisée. Elle ne stoppe pas le travail, elle l’accompagne. On apprend à faire avec. Peut-être parce qu’à chaque effort résonne un écho, un héritage, quelque chose que l’on veut honorer.


Avec l’expérience du projet, je réalise que j’engage mon corps dans une démarche plus éprouvante que je ne l’avais anticipé. Je sollicite — voire sur-sollicite — certains muscles, certaines articulations, ce qui provoque des tensions que je n’avais jamais ressenties auparavant.


Après la première opération de semis du lin, je souhaitais prendre la fin de semaine pour me reposer, de la pluie était annoncée. Et au réveil, une douleur inconnue me signale un déséquilibre : une raideur inquiétante. Je m’informe, j’observe, j’écoute : c’est le trapèze qui a été surmené, fatigué par trop de poussées, trop de gestes en résistance. Pousser le semoir à la main, décompacter le sol avec un outil tracté par moi-même — des gestes répétitifs qui s’accumulent et laissent des traces.


Le travail de la terre est un travail de force.


Aujourd’hui, les tracteurs ont remplacé les chevaux, les bœufs, les mules. La machine amplifie le geste humain. Dans ce projet, je n’ai prévu ni attelage, ni moteur. Seulement mon corps, et quelques outils qu’il faut tirer, pousser, transporter.



Il me reste les deux tiers du travail de semis à accomplir, dans le motif lin–canola–sarrasin–canola. Mon corps a six jours pour se reposer avant de reprendre.


rendu, par Joël Gingras, Apy-D
rendu, par Joël Gingras, Apy-D

Et pendant que le corps encaisse l’effort, ce sont les sons du paysage qui offrent un contrepoint. Les chants d’oiseaux, en particulier, deviennent presque un baume, une forme d’attention offerte sans condition.


Est-ce que les chants d’oiseaux - le son de la nature - aident ?


À force d’entendre et d’écouter ce qui entoure le champ, je me demande si, comme les compositions classiques — connues pour leurs structures rythmiques régulières et leurs harmonies douces, et qui, selon diverses études, créent un environnement propice à la croissance des plantes — les chants d’oiseaux et des insectes ont un effet comparable sur moi et les semis.


Des recherches en santé globale confirment ce que je ressens sur le terrain : les sons de la nature réduisent le stress, améliorent l’humeur, diminuent l’anxiété et favorisent la concentration. Quand le corps est tendu, brûlé par l’effort, que l’esprit est préoccupé par la météo, la machinerie, les semis à venir, ce sont souvent ces sons du dehors qui me ramènent au présent. Ils me font pleinement percevoir, dans une attention plus fine. Je vois enfin l’espace autour de moi, autour du champ. Je vois la friche, j’apprécie la vergerette, la marguerite, et l’obier en fleur.



L’agriculteur·trice repousse ses limites, sculpté·e par l’endurance, marqué·e par la fatigue, mais aussi par la résilience. Chaque effort, chaque tension est le fruit de son lien intime à la terre. Travailler en nature, ce n’est pas seulement déployer la force, c’est aussi prendre le rythme du vivant — les cycles du sol, la caresse du vent, le chant des oiseaux.


C’est dans cette tension entre la force déployée et l’écoute attentive que se joue la vraie relation avec la terre. L’endurance physique n’est pas un combat contre la nature, mais une réponse respectueuse, parfois difficile, souvent fragile, aux caprices et aux dons qu’elle offre.


Ainsi, mon corps devient à la fois outil et réceptacle, porté par la nature qu’il travaille, porteur d’une mémoire faite d’efforts répétés, d’espoirs semés, de récoltes espérées.



 
 
 

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